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T1 T1 |
Edition originale |
DL 10/2003
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Mon
édition |
EO |
Cote 03 |
NC |
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Résumé T1
Télérama N°2808 du 05/11/2003 : Emmanuel Guibert,
dessinateur du ""Photographe"'
L'illustrateur mêle habilement encre et photo dans une BD aux allures de
documentaire.
Le déclic afghan
Vous l'avez peut-être remarqué un jour dans le métro parisien, ou aux
abords d'un pré normand, ou sur les hauteurs de Bastia. D'une main, il
tenait son carnet de croquis, de l'autre, il faisait danser son
crayon... Son portrait-robot ? Cheveux blanchis par la quarantaine qui
approche, lunettes rondes à monture métallique, éternelles tennis de
cuir blanc aux pieds. Si votre oeil curieux s'est faufilé par-dessus son
épaule, c'est sûr il vous a souri, et vous avez échangé quelques mots.
Il adore ces instants-là Emmanuel Guibert, membre éminent d'une clique
de choc (Sfar-Blain-Satrapi-Trondheim-Menu-David B) qui revivifie la
bande dessinée. Peut-être même qu'après votre départ il a noté, de son
écriture sereine, une réflexion inspirée par ce moment partagé. • Je
veux exalter les bonnes raisons que nous avons d'être en ce bas monde,
dit-il. Une partie de mon travail consiste à les consigner et à les
mettre noir sur blanc. C'est pulsionnel. C'est une façon de récolter
pour ensuite donner aux autres. »
La bande dessinée, littéraire, personnelle, différente, vit aujourd'hui
un nouvel âge d'or. Emmanuel Guibert est l'un de ses apôtres. Ses livres
sont des documentaires de création. Une vie le passionne, et le voilà
qui la voit en images. Le Photographe est né ainsi. Des discussions avec
son voisin de palier, Didier Lefèvre, qui lui a raconté,
planches-contacts à l'appui, son premier périple en Afghanistan en 1986,
avec une mission de Médecins sans frontières.
Voyage au coeur de montagnes rugueuses en compagnie de résistants
afghans et de toubibs occidentaux. Le Photographe nous entraîne aux
confins de l'ethnologie, des rapports sociaux et de l'aventure :
coutumes des uns et acclimatation des autres, amitiés et altercations,
peurs et petits bonheurs d'un
convoi qui doit déjouer les embûches du terrain et se cacher de
l'aviation soviétique. Le lecteur vit au rythme de la caravane et du
reportage. Les planches mêlent adroitement cases dessinées et vignettes
photos. Pour parvenir à une harmonie esthétique et fluide, Emmanuel
Guibert a épuré son dessin en utilisant un outil inattendu : la pipette
de sa bouteille d'encre de Chine. Son trait épais à mi-chemin entre le
réalisme et la ligne claire, les à-plats pastel couleur de terre, le
piqué des clichés noir et blanc balancent avec élégance grâce aux
subtils décalages entre cases et photos et à d'autres petits riens de
mise en pages. Celle-ci a été réalisée par Frédéric Lemercier, un ami
graphiste qu'Emmanuel Guibert a rencontré lors de ses brèves études aux
Arts-Déco. L'équilibre est d'une telle finesse que le moindre soupçon de
lourdeur ferait basculer le livre dans le précipice de la banalité,
voire de la grossièreté.
L'amitié et l'admiration ont toujours été des forces motrices pour
Emmanuel Guibert. Grâce à elles, il a quitté ses oripeaux d'illustrateur
solitaire pour s'embarquer sur la nouvelle vague de la bande dessinée.
1994, année charnière : « J'ai connu Joann Sfar et Christophe Blain en
m'installant à l'Atelier
des Vosges, j'ai lié connaissance avec les gens de L'Association et puis
j'ai rencontré Alan. » Alan Ingram Cope. L'amitié avec ce monsieur
américain croisé au hasard d'une balade sur l'île de Ré a été à la
source de sa première bande dessinée documentaire, parue en 2000. La
Guerre d Alan (1) est le récit
d'un GI débarqué en France un jour de février 1945. Leur relation
intense n'a été interrompue que par la mort. "Ce fut une expérience
étrange. Il disparaissait sous mes yeux et je dessinais un jeune homme.
Pour moi, c'était comme un drain qui le maintenait en vie. C'était de
peu d'effet... Mais si, quand même... Le dessin permet d'exprimer une
sollicitude pour les gens qu'on aime. »
A raconter les histoires d'autrui, Emmanuel Guibert cherche-t-il à
s'oublier ? » Si j'étais animé par la seule abnégation, répond-il, je
serais dans une attitude fausse.Quand quelqu'un vous communique une
émotion et que vous la comprenez, elle réveille en vous des images ou
des souvenirs. Vous êtes alors sur la même note. Son histoire et la
vôtre s'entremêlent. Dans un prochain livre, je raconterai la Californie
où Alan a grandi. Elle sera nourrie de la Provence de mon enfance. »
D'ici là, cet admirateur du Petit Nicolas, de Sempé et Goscinny, aura
mené de front quantité de projets, inventé pour les mômes de nouvelles
aventures de Sardine de l'Espace et d'Ariol (2), continué de dessiner la
série Les Olives noires (3), scénarisée par son grand pote Sfar, sorti
un livre de 500 pages ras-
semblant dix ans de croquis et de notes sur Paris, écrit peut-être une
suite à Poixons, son premier roman jeunesse, qui paraît ces jours-ci...
» Le dessin, l'écriture, ça remplit ma vie, ça la déborde même », dit-il
avec gourmandise.
Varier les plaisirs constitue pour ce travailleur acharné une bonne
méthode contre l'usure : « Ne pas se figer, ne pas s'engluer. Je suis
terrorisé à .l'idée que mon métier se transforme en ciment à prise
rapide. D'où cette nécessité de raconter des histoires pourles petits et
pour les grands, ce besoin de ne
pas dessiner pareil selon les albums, de toujours pratiquer le dessin
d'observation pour garder la main vive et alimenter la bibliothèque
mentale dans laquelle je vais puiser pour composer mes dessins
d'imagination. »
Depuis tout gamin, il ressent les bienfaits de la présence entre ses
doigts d'un crayon ou d'un pinceau. • C'est physiquement équilibrant
dit-il. Je m'enrhume facilement, mais tout nu au pôle Nord avec un
carnet de croquis entre les mains, je n'attraperais pas froid. Le dessin
bien compris, c'est celui qui permet d'être au plus profond de soi-même
tout en s'oubliant. Les journées les plus heureuses sont celles où j'ai
le moins pensé à moi. »
Cécile Maveyraud
(1) La Guerre d'Alan, deux tomes parus, éd. L'Association, 88 p. et 96
p.,14 et 15 E.
(2) Sardine de l'Espace, de Guibert et Sfar, et Ariol sont publiés chez
Bayard Poche et Poixons chez Bréal Jeunesse.
(3) Les Olives noires, de Guibert et Sfar, trois tomes parus, éd.
Dupuis, 48 p., 9,50 €.
A lire
Le Photographe, d'Emmanuel Guibert, Didier Lefèvre et Frédéric
Lemercier, éd. Dupuis, 80 p.,12,50 €.
Télérama n° 2808 - 5 novembre 2003
Dos : "D'un même élan, d'une même foulée, on
attaque notre premier col.
C'est la montagne-frontière, le Dewana Baba le col du vieux fou. 5000
mètres.
On m'a prévenu que ce ne serait pas une partie de plaisir.
Effectivement, c'est très pénible. Toute la nuit, on grimpe au pas de
charge un tas de cailloux sans fin qu'on ne voit pas. Tandis que ma
raison me répète en boucle que je ne vais pas u arriver, mes pieds
continuent d'avancer. Il fait de plus en plus froid. Vers cinq heures,
l'aube point. Saoul de fatigue, au passage du col, je dois avouer qu'au
fond de moi, je me demande ce que je fous là. Et comme d'habitude, je me
réponds en prenant des photos."
Fin juillet 1986. Didier Lefèvre quitte Paris pour sa première grande
mission photographique : accompagner une équipe de Médecins Sans
Frontières au coeur de l'Afghanistan, en pleine guerre entre soviétiques
et Moudjahidin.
Cette mission va marquer sa vie comme cette guerre marquera l'histoire
contemporaine.
Au croisement des destins individuels et de la géopolitique, à
l'intersection du dessin et de la photographie, ce livre raconte la
longue marche des hommes et des femmes qui tentent de réparer ce que
d'autres détruisent.
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